Argumentaire

Depuis le tournant numérique du XXIe siècle, les sciences du langage connaissent des mutations profondes, à la croisée des avancées technologiques et des reconfigurations épistémologiques. L’arrivée massive de l’intelligence artificielle, de l’analyse computationnelle du discours, et des humanités numériques ne bouleversent pas seulement les outils et les méthodes des linguistes : elles redéfinissent les objets d’étude eux-mêmes, les modalités de production du savoir, ainsi que les paradigmes fondateurs de la discipline.

Comme l’a souligné Thomas S. Kuhn (1962), un bouleversement des catégories et des méthodes admises reste le sine qua non de tout changement paradigmatique. Or, à l’heure de systèmes capables de générer du langage, de produire des corpus, et de transformer l’interaction humaine-machine, il devient légitime de se demander si les sciences du langage ne traversent pas une telle transition. L’approche classique fondée sur la distinction compétence/performance (Chomsky, 1965), ou encore sur l’analyse des corpus authentiques (Sinclair, 1991), se voit aujourd’hui complétée, contestée, voire déplacée, par des outils d’apprentissage profond produisant eux-mêmes leurs propres modèles linguistiques.

Dès lors, ce nouveau contexte académique interpelle aussi bien les fondements théoriques que les modes d’observation et d’analyse. L’essor des approches quantitatives en linguistique de corpus (Biber et al., 1998 ; McEnery & Hardie, 2011), la généralisation des modèles statistiques dans le traitement automatique du langage (Jurafsky & Martin, 2023), ou encore les travaux critiques en humanités numériques (Ramsay, 2011 ; Schnapp & Presner, 2009), obligent les chercheurs à repenser la place des processus codiques, de l’interprétation, du sens explicite ou implicite, de l’intention, des sous-entendus, et de la contextualisation dans leurs analyses des phénomènes linguistiques.

Ce colloque se veut donc un espace de réflexion interdisciplinaire sur ces nouvelles configurations paradigmatiques, entendues comme les recompositions en cours dans les fondements, méthodes, finalités et épistémologies des sciences du langage à l’ère de l’intelligence artificielle. Il s’inscrit dans le prolongement des travaux récents de chercheurs tels que Damon Mayaffre (2025), Philippe Breton (2021), Paveau (2017), ou Cori & David (2008) qui interrogent à la fois les mutations du discours, l’automatisation du langage et la redéfinition de la notion même de texte. Il ne s’agira pas seulement de décrire des outils et instruments, mais de questionner les cadres théoriques qui les rendent possibles, nécessaires ou contestables, et d’examiner entre autres les enjeux critiques, éthiques et épistémologiques liés à l’influence croissante de l’IA sur la recherche linguistique.

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